La
viticulture en Amérique du Sud est presque aussi vieille que la conquête du
continent par les espagnols initiées au début du 16e siècle. Le
magnifique musée du vin de la Bodega La Rural à Mendoza en témoigne.
Cette
viticulture a été presque exclusivement tournée vers le marché intérieur ou vers
les besoins des équipages des bateaux désirant éviter l’eau, porteuse de
maladies graves à l’époque. Ce n’est qu’à la fin du 20e siècle que
le Chili, puis l’Argentine ont voulu compenser la baisse de la consommation
intérieure par une stratégie d’exportation vers le marché nord américain. Aujourd’hui,
l’Argentine est le 5e pays producteur dans le monde, le Chili est 10e
mais les deux ont des niveaux d’exportation comparables.
Le
Chili a misé principalement sur les cépages bordelais : Merlot, Cabernet sauvignon et plus
récemment le Pinot Noir et la Syrah. L’Argentine, bien que produisant pas mal de
Cabernet sauvignon et de Merlot, a parié sur le MALBEC, un cépage relativement marginal
en Europe, dont ils arrivent à tirer des vins intéressants, variés et de
qualité.
L’Uruguay, petit pays enclavé entre le Brésil et l’Argentine, s’est aussi approprié un
cépage marginal, le TANNAT, que l’on retrouve à l’instar du
Malbec dans le Sud-Ouest français et un peu au Portugal. Ils en font des
vins dont la qualité augmente sans
cesse.
L’histoire
du Chili est plus cocasse. Le Merlot de certaines régions chiliennes gagnait
des adeptes de plus en plus nombreux à l’extérieur du Chili jusqu’au jour où un
spécialiste français, au début des années quatre-vingt dix, découvrit que ce
Merlot était en fait du CARMENÈRE, un cépage Bordelais presque disparu. Les
chiliens venaient de trouver leur cépage emblématique.
Cette dégustation voulait illustrer ce que ces trois pays faisaient de
meilleur avec ces trois cépages marginaux devenus les porte-étendards de ces
pays producteurs de vins. Puisque
nous étions 11 à table, et que les Rupins ont un peu de sous, j’ai pu compter
sur un budget intéressant pour faire mes choix et établir une liste qui
mettrait en évidence les progrès importants de la viticulture latino
américaine.
Voici
ce qui ressort de cette dégustation passionnante.
La première série constituée exclusivement de
TANNAT fournit d’entrée de jeu le vin
sacrifié de la soirée, celui que tout le monde rejette, le 100% Tannat du Brésil, le Lidio Carraro 2005.
Puis, l’Axis Mundi 2002 de la réputée maison uruguayenne Pisano repart le
bal, emballe les dégustateurs par
sa richesse aromatique en tertiaire et par sa puissance à peine contenue. Une
bouche droite, pleine, goulue dotée d’une belle et longue finale. Fiou! Nous
venions d’oublier le Lidio.
On
termine avec le Casa Magrez, résultat de l’aventure en Uruguay de Benard
Magrez, bordelais et proprio du Château Pape Clément. Un bel assemblage avec le
Tannat à 65% adoucit de Merlot et de Cabernet Franc. Il est séduisant, plait aux amateurs de Bordeaux,
mais il s’éteindra peu à peu au fur et à mesure que la dégustation progressera,
alors que le Pisano va briller de tous ses feux, surtout lorsqu’il sera le
temps de déguster charcuteries, pâtés de cerf, de lapin et de canard, et les
fromages à pâte ferme et les brebis qui nous attendent plus tard.
La deuxième série nous amène au royaume du Malbec. Trois maisons argentines :
Achaval Ferrer, Catena et Cheval des Andes.
Vin de milieu de gamme, le Catena Alta 2008, 100% Malbec, est comme à l’habitude savoureux, accessible, aux arômes de fruits noirs, une bouche soyeuse malgré sa jeunesse et une finale qui me s‘éternise pas tout en étant solide. Son grand frère, la Cuvée Nicasia de la série « haut de gamme » Catena Zapata, 100% Malbec aussi en millésime 2006, est plus profond. Les arômes d’avantage en petits fruits rouges mais avec une présence en tertiaire de chocolat, de café et une touche de tabac lui donnent une complexité aromatique étendue et dense. Sa bouche est plus rugueuse, avec des tannins encore fermes mais une acidité fluide et une trame alcoolique élevée et intégrée, permettent un équilibre et un potentiel de garde intéressant. La finale est longue après un milieu de bouche un peu plus faible qui suivait une entrée en bouche spectaculaire. Un beau vin qui gagnera beaucoup à vieillir.
Le
vin suivant déclenche toute une controverse. Depuis quelques années, Achaval
Ferrer s’est éloigné de la tradition et travaille à domestiquer le cheval
fougueux que peut-être le Malbec si on le laisse aller sans trop le guider. Il
aspire à des vins fins plutôt que puissants et tente de limiter le niveau
d’alcool pour alléger la bouche et la trame aromatique. Il flirte parfois avec
l’oxydatif pour leur donner une certaine originalité, une maturité précoce qui
les distinguent des vins concurrents souvent robustes et qui tardent à murir. Ses
deux cuvées de prestige, Finca Mirador et Finca Altamira, autrefois denses et
concentrées, évoluent dans ce sens. L’Atamira 2005 que nous avions a
littéralement conquis une partie du groupe mais rebuté les autres dégustateurs.
Le
Cheval des Andes 2006 qui fermait la marche, issue d’une collaboration entre le
Domaine Bordelais du Cheval Blanc et les argentins de Terrasas de Los Andes, a ravi les dégustateurs. Un assemblage de Malbec,
de Cabernet sauvignon et de Petit verdot, ce vin est sensationnel. Un
vin qui aspire à la grandeur et qui s’en approche. Il est encore jeune mais
déjà des arômes d’épices et de tabac affluent sous le fruit. Les tannins sont
fermes mais le grain est fin et l’acidité est généreuse. Il est droit et
intègre, se maintient du début à la fin de la bouche avec une persistance
aromatique et gustative dignes des beaux Bordeaux.
On
arrive à la dernière série, celle du
Chili, des Carménères et des beaux
vins de la maison Lapostolle. Mais d’abord, un petit vin de la maison Concha y
Toro, le Terrunyo 2008, histoire de donner une référence aux dégustateurs qui ne connaissent pas ce cépage et dont certains ont des réticences solides envers
les vins du Chili. Il est de couleur dense et foncée, plutôt rouge que violet,
la couleur des Malbec en jeunesse, des arômes expressifs de fruits noirs , de
violette et d’épices; simple, direct, à l’acidité plutôt modeste et au niveau
d’alcool moyen/plus à 14,5%. Il est bon et apprécié et se révèlera le meilleur
rapport qualité prix de la soirée à 30$.
On
passe à la grande finale avec deux bouteilles de la maison Casa Lapostolle. Il y a
encore des sceptiques autour de la table. Le Borobo 2007, assemblage de Carménère, Syrah, Cabernet sauvignon, Pinot
Noir et Petit verdot, est une création de l’œnologue voyageur et bordelais
Michel Rolland très actif en Amérique du Sud. Le vin est magnifique, très
bordelais (oh surprise) et ne se fait que des admirateurs auprès des convives.
Il a du coffre, de la densité, de la personnalité, des arômes de fruits noirs
mais aussi quelque chose d’animal, du cuir, et une belle finale étoffée et
toute en longueur. Mais le vin qui suit lui est supérieur.
Le
Clos Apalta en millésime 2007, dont le 2005 a été sacré meilleur vin de l’année
2008 par le magazine américain
Wine Spectator, est tout à fait à la hauteur de sa réputation :
élégance malgré un volume important en bouche et un niveau d’alcool élevé à 15%,
des tannins présents mais pas agressifs, des arômes de fruits noirs, de café
avec une touche de chocolat, du tabac à cigare et une superbe finale toute en
longueur et en intensité. Il vient démentir ce que je dis sans arrêt, (et
un peu péremptoirement je l’avoue)
que l’Amérique latine fait de bons vins mais pas de grands vins. S’il y en a
un grand, c’est celui-ci. Bonheur.
Notons
que les vins de Catena, le Cheval des Andes, les 2 vins de Lapostolle et le vin
uruguayen de Pisano présentaient des qualités gastronomiques indéniables.
Le top 3 :
1)
Le Clos Aplata 2007 de Casa Lapostolle du Chili;
2)
Le Borobo 2007 de la même maison;
3)
Le Cheval des Andes 2006 de l’Argentine.
Des
mentions enthousiastes pour l’Axis Mundi 2002 de Pisano
en Uruguay et la Cuvée Nicasia, de Catena Zapata 2006.