lundi 20 mai 2013

À la recherche d'Arianna Occhipinti de Sicile


À la recherche d’Arianna Occhipinti

Arianna est de fort mauvaise humeur. Elle vient de débarquer en coup de vent d’on ne sait où et inonde Alessandro de questions et de commentaires sur un ton qui ne laisse aucun doute sur son état d’esprit. Le pauvre jeune homme vient de passer une heure à nous expliquer que la belle Arianna décide de tout dans ce vignoble, de la grosseur des cailloux du chemin  d’accès aux étiquettes de ses bouteilles en passant par les tâches de ses quelques employés, le moment de la vendange etc … Il est visiblement subjugué et totalement soumis aux « desiratas » de la vedette montante de la viticulture sicilienne.

Nous sommes arrivés il y a quelques heures, en route de Syracuse vers la ville d’Agrigento, et on s’est faufilé dans une visite-dégustation qui s’amorçait avec un couple d’américain d’origine indienne, jeune, riche et beau, qui a accepté de bonnes grâces que l’on se joigne à eux.

Il faut dire que nous avions tenté de nous rendre à ce vignoble le lendemain de notre arrivée en Sicile, le jour du rendez-vous fixé par courriel avec Arianna. Elle avait accepté avec facilité de nous voir, fort de la recommandation d’Aurélia Fillion de l’agence Oenopole qui représente les vins du vignoble au Québec. Mais un GPS non actualisé et une carte géographique de l’île sans le numéro des routes provinciales ont fait que nous nous sommes complètement égarés dans les faubourgs de Vittoria. Un coup de fil à Arianna, vers 13h45, histoire de la prévenir d’un retard possible, nous a fait comprendre qu’elle a oublié de noter la date et l’heure, qu’elle ne nous attendait pas  et qu’elle n’était pas vraiment disponible. Cela dit, elle offrait les services d’Alessandro pour la suite. Nous avons convenu que si nous n’étions pas là avant 15h00, ils pouvaient nous oublier. Ce fut malheureusement le cas.

Trois jours plus tard, dotés d’une carte Michelin de la Sicile obtenue à gros prix, où les « strada provinciale » sont identifiées (et un GPS fautif au rancart), on file vers l’Ouest de l’île, quand, rendu à la hauteur de Vittoria, on décide de passer chez Arianna pour lui dire un petit bonjour et tenter de dissiper le malentendu qui s’est installé malgré nous. C’est là que nous sommes tombés sur Alessandro et ses visiteurs, un peu énervé et pressé par la visite dans quelques heures de 22 australiens en mal d’Occhipinti.

Avant l’arrivée orageuse de la belle vigneronne, il avait eu le temps de marcher avec nous dans les rangs de vignes et d’expliquer le travail accompli par Melle Occhipinti depuis 2004, année où elle a amorcé une brillante carrière en viticulture. Elle réussit tout ce qu’elle touche. Les vins rouges qu’elle tire des deux cépages noirs les plus en vue de l’île, le Frappato et le Nero d’Avola, sont exquis, frais et gouteux. Ils font le bonheur de ses fans à New-York et Chicago, en Australie et au Québec où elle fait figure de star.

Elle a été à bonne école chez son oncle du vignoble de COS, un  autre domaine qui a le vent dans les voiles en Sicile. Après des études en œnologie à l’école de Catania dans la région de l’Etna, elle achète cette propriété au nord de Vittoria, à quelques kilomètres  de son oncle. C‘est là que se trouve la seule DOCG de  toute l’île, le Cerasuelo di Vittoria. La Denominazione di Origine Controlatta e Garantita est accordée au compte goute. Elle se mérite difficilement.

Très rapidement, son style et sa philosophie se clarifient. Elle fait du bio, du nature le plus possible. Elle respecte le terroir de Vittoria et les traditions  de la Sicile et se consacre à quelques cépages desquels elle produira une variété limitée de vins. Elle maintiendra des niveaux d’alcool bas, évite la lourdeur du bois et mise sur le caractère digeste, la simplicité des vins.

Elle a un sens aigu du « marketing » et des relations publiques. Belle, séduisante, encore toute jeune à trente ans, dotée d’une grande intelligence, d’une force et d’une énergie peu communes, elle sait mettre à profit ses qualités au cours des nombreuses tournées de promotion qu’elle effectue aux USA, en Australie et au Québec, ses principaux marchés.

C’est d’ailleurs lors d’une de ses présences au RASPIPAV (l’évènement annuel organisé par un groupe d’agences privées d’importation de vins et spiritueux) que j’ai rencontré Melle Occhipinti. Comme tout le monde, je suis tombé sous le charme de son beau regard sombre, de son sourire chaud et engageant et de la brillance de ses propos. Elle m’avait chaleureusement invité à passer la voir lors de mon séjour en Sicile.

De là mon étonnement devant sa réaction de déplaisir à notre présence. Alessandro est au bord de la crise de nerf quand la belle Jasmine Thapar, l’américaine d‘origine indienne, avec un sourire ravageur et une voix des mille et une nuits, déclare toute son admiration et son affection à Arianna et s’envole dans un éloge aussi enthousiaste que vrai pour cette femme jeune et brillante qui accomplit tant de choses à un âge ou la plupart des gens commencent à peine à faire leur place. Arianna fond à vue d'oeil devant cette charge d’amour et se transforme en l’Arianna que je connaissais. Souriante, aimable, presque détendue, elle nous explique sa journée qui est celle d’un forçat. Elle s’excuse et se dit disposée à nous accorder un peu de son temps précieux. Alessandro respire et nous pouvons la questionner calmement. Elle répond avec profondeur et pertinence à toutes nos interrogations et prend congé de nous 45 minutes plus tard, en direction de Trapani où elle va reconduire un de ses associés qui part en avion pour on ne sait où.

Nous quittons une demi-heure plus tard, après avoir terminé la dégustation des vins du Domaine, non sans remercié Alessandro qui se précipitait vers la cuisine pour préparer l’arrivée du groupe d’australiens et surtout embrassé et exprimé notre gratitude à la belle Jasmine qui a littéralement sauvé notre rencontre avec Arianna Occhipinti.

Liste des vins produits par le Domaine Occhipinti..

-       Le SP 68 (du nom de la route où se trouve le domaine), un assemblage en rouge de Frappato et de Nero d’Avola, frais, que l’on boit goulument, un presque vin de soif tant il est gouteux et léger. Son vin le plus populaire au Québec, pas trop cher, en vente à la SAQ mais en forte demande si bien qu’il disparait en quelques heures après sa mise en tablettes. Vignes jeunes, 10 à 15 ans d’âge. Élevé six mois en citerne « staintless steel », un mois en bouteille; 13% d’alcool.

-       Le SP 68 en blanc, fait avec de l’Albanello, un cépage autochtone et presque disparu de la Sicile, et du Muscat d’Alexandrie. Ses vignes les plus jeunes, autour de dix ans. Un vin moins réussi mais le 2011 gouté là-bas nous est apparu nettement meilleur que le 2010 dégusté à Montréal. Vieilli six mois en « stainless » et un mois en bouteille; 11.5% d’alcool.

-       Le Il Frappato, d’une grande fraicheur, aux arômes étincelants de fruits rouges, de la matière mais de la légèreté en bouche, une jolie finale pétulante. Du plaisir en bouteille. On la finit rapidement une fois ouverte. Ses vignes les plus âgées, 55 ans et plus. Mon vin préféré. Il est disponible en importation privée à l’agence Oenopole. Elevé 14 mois dans des foudre en chêne de Slovénie de 25 hectolitres, deux mois en bouteille; 13% d’alcool.

-       Le Siccagno, 100% Nero d’Avola, plus profond, plus grave que le précédent, un vin que l’on doit attendre au moins quelques années et qui se révèlera dense, généreux, élégant, avec une touche d’amertume sur une  finale de belle longueur, des arômes de fruits noirs à peine cuits. Un vin qui sent plus le soleil que les précédents. Vigne de 35 ans d’âge. J’aime aussi beaucoup. Dispo en IP chez Oenopole. 16 mois d’élevage en foudre de chêne slovène et 6 mois en bouteille; 13% d’alcool.

-       Le Grotte Alte, un Cerasuelo di Vittoria, assemblage de Nero d’Avola et de Frappato, élevage en foudre de chêne slovène durant 4 années et une maturation subséquente en bouteille d’au moins 6 mois. Nous n’y avons pas gouté, il n’était pas prêt selon Arianna.

-       La Passo Nero, un passito en rouge, i.e. en vendange tardive, fait avec du Nero d’Avola, pas disponible pour gouter non plus. Snif. On se reprendra quand Oenopole les importera une fois qu’ils seront prêts.

Quelques caractéristiques du vignoble :
-       15 hectares consacrés aux vignes et 15 aux olives et aux céréales. Agriculture totalement organique.
-       Le vignoble est situé entre 270 et 290 mètres dans les contreforts nord de la ville de Vittoria.
-       Les sols sont calcaires, avec de la craie, du sable rouge du sous-Appenins  et du Tufo.
-       Une densité de plantation qui oscille entre 6 000 et 6 500 plans l’hectare.
-       Un climat méditerranéen, aux jours chauds mais au nuits rafraichies par le vent qui vient des montagnes et la brise de la mer en  contrebas.
-       Les vignes sont retenues en Guyot double, mais quelques hectares en Alberello, autour d’un seul piquet central, traditionnel mais peu efficace.
-       Fermentation du vin en citerne de « stainless » de diverses dimensions, élevage en foudre de bois de Slovénie de 25 hectolitres.

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