mercredi 7 septembre 2011

Un coup de foudre musical qui dure depuis cinquante ans.

Durant mon enfance, mon père descendait parfois au salon du sous-sol, se mettait au piano et jouait inlassablement les deux mêmes pièces : « Siboney » la cubaine, et « Brazil » d’Antonio Carlos Jobim. Il les déclinait de toutes les façons pendant des heures. C’est lui qui m’a donné le goût de pianoter et d’explorer l’univers de la musique latine.

Puis, des années après, vint le film « Orpheo Negro » de Jules Dassin (le père de Joe) qui a propulsé la musique brésilienne à l’avant plan avec « Manha do Carnaval » de Luiz Bonfa et l’inoubliable « Felicidade », la première bossa nova à sortir des frontières du Brésil.

Pour son auteur, Antonio Carlos Jobim, ce fut le début d’un long et brillant parcours international amorcé aux USA en 1964 où il produisit un disque génial qui a fait école, avec le guitariste et chanteur Joào Gilberto et le saxophoniste Stan Getz. Ses chansons : « The girl from Ipanema », « Desafinado », « Doralice », « Corcovado » ou « O Grande Amor » feront le tour du monde portées par la voix et le phrasé unique de Gilberto, les arrangements subtils de Jobim et le son feutré de Getz.

Dès lors, je n’eus de cesse d’écouter tous les « bossa novistes » de la planète, tous les interprètes de cette musique soyeuse et mélancolique en même temps que les auteurs de chansons qui s’inspiraient de ses rythmes et de ses sonorités. Baden Powell, Dorval Gaymi, Chico Buarque di Hollanda, Caetano Veloso, Djavan, Milton Nascimento, Gilberto Gil, Ney Matogrosso,  Toquinho m’ont suivi tout au long des ans même si je prenais le temps d’explorer le reste du monde et ses musiques. Le jazz qui s’inspirait de ces courants musicaux prenait aussi de la place sur mes tables tournantes ainsi que toutes les belles chanteuses du Brésil lointain : Gal Costa, Fafa de Belhem, Alcione, Rosa Passos et mon grand amour, Elis Regina, fabuleuse et fragile interprète des airs de Jobim.

Le temps passa, la carrière de journaliste et de gestionnaire de télévision m’emporta pendant 30 ans et, bien que j’écoutais encore et toujours de la musique, j’ai cessé complètement de jouer du piano durant toutes ces années.

À ma retraite, il y a six ans, j’ai fait le choix de réapprendre le piano avec l’objectif avoué de pouvoir jouer du Jobim. Avec les conseils précieux de mon professeur, la pianiste et organiste de Jazz Vanessa Rodriguez, j’ai réussi à retrouver un  peu de ma technique mais surtout appris énormément sur les arrangements, les progressions d’accord, les particularités rythmiques de la musique cubaine et brésilienne, si bien que je pus jouer Desafinado et quelques autres de ses chansons après 18 mois d’un  travail acharné  à raison de 3 à 5 heures par jour. (Merci à Hélène et Alexia qui ont eu la patience de m’écouter pratiquer durant tous ces longs mois.)

Ma technique laisse à désirer, ma vitesse aussi, mais je m’amuse beaucoup et prend un grand plaisir  à laisser les notes s‘échapper pour refaire les jolies mélodies, finement ciselées et les arrangements profonds et complexes du grand maître de la bossa nova. Je joue enfin du Jobim, un grand privilège et un cadeau de la vie.

Si vous voulez le connaître et l’apprécier, le fameux disque avec Gilberto et Getz est en réédition permanente et très facile à trouver. Il y a aussi tous les disques d’Elis Regina faits en duo avec Jobim ou seule avec orchestre qui vous donne toute la pleine dimension et la finesse des pièces du compositeur. Les meilleures selon moi : Desafinado, Felicidade, O Grande Amor, Corcovado, Aguas de Março, Triste, Chega de Saudade, One note samba et La Mulier de Ipanema trop souvent estropiée par des versions sirupeuses et racoleuses.

Vous serez étonné de reconnaître des airs que vous avez entendus ici et là sous toutes sortes de forme et de genres musicaux, sans nécessairement savoir qu’ils émanaient d’un compositeur qui a marqué la musique de son pays mais aussi celle du monde. Vous comprendrez peut-être ce coup de foudre musical qui dure depuis cinquante ans.

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